Jan. 23, 2025, 7:39 p.m.
Je viens de réaliser quelque chose d'amusant sur mon fonctionnement. Quand j'étais ado je regardais NCIS à la télé le vendredi soir et parmi les tropes de la série, il y a notamment la cave de Gibbs, dans laquelle il va pour se couper du bouillonnement du quotidien, son havre de paix sans technologie électronique.
Et bien je me suis rendu compte que chez moi, le projet de l'Univers Sonore était devenu cette cave, ou plutôt le bateau construit dans cette cave. C'est vrai que la comparaison peut paraître hasardeuse, d'une part je ne suis pas un ancien sniper fictif, mais surtout mon havre à moi n'est pas dénué d'informatique, au contraire. Mais il a des propriétés qui s'en rapprochent :
Déjà fondamentalement nos deux havres sont anachroniques dans leur objectif et leurs moyens : quelle idée de vouloir faire une encyclopédie collaborative quand tout le monde utilise des plateformes de streamings propriétaires, quelle idée de construire un logiciel libre et opensource en 2025 alors qu'on pourrait le monétiser. Et dans les moyens, si j'ai fait quelques compromis sur les technologies (j'ai finalement accepté de me mettre au javascript...), j'ai choisi de ne pas faire dans le cutting-edge ou l'impressionnant. Ces temps-ci, dans un contexte internautique asphyxié par les décisions de webmasters mégalomanes et de techniciens avides, prêts à saper le tissus social même et l'avenir commun du monde pour assouvir leur domination, cette bulle fait du bien. J'en parlerai sans doute dans un billet à part, c'est vrai que la tentation d'utiliser l'IA pour accélérer mes développements et mes projets est présente, elle m'assaille quand je bute sur un problème depuis quelques heures et que je me dis que peut-être que ça pourrait m'aider. Mais tel Gibbs, je m'accroche à mon rabot plus fort encore, en me disant que tant qu'à être off-tempo autant en profiter jusqu'au bout : pas d'objectif quantifié, pas de deadline, pourquoi vouloir accélérer le processus ?
On s'en rend compte au fil des saisons, ce n'est pas vraiment pour avoir un bateau à la fin que le chef va se planquer dans sa cave. C'est l'activité en elle-même qu'il recherche, la focalisation sur un objet tangible qu'il voit prendre forme progressivement.
Et on pourrait même se dire qu'il sera bien embêté lorsque son bateau sera fini, qu'est-ce qu'il va bien pouvoir en faire ?
Un point qui casse la métaphore de l'artisanat quand on l'applique au développement logiciel : la complétude. Même si on peut toujours améliorer son bateau, il y a un moment où il a tout ce qu'il faut pour être considéré comme terminé. Un projet logiciel flou, lui, peut être étendu, déformé, complexifié à l'infini. C'est un problème auquel je suis confronté plus que Gibbs et qui change un peu le rapport à la création. (même si j'ai l'impression que dans NCIS il finit par en recommencer un une fois le premier terminé)
Ce n'était pas forcément comme ça que je l'imaginais, mais dans les faits c'est depuis le début une fabrication individuelle. J'ai eu des coups de mains, des coups d'œil curieux de la part de mon entourage mais au bout du compte c'est un chantier solitaire. Et à vrai dire, le pilotage du projet et l'accent mis aux ressources pour le travail collaboratif, bien que présentes, ne sont clairement pas suffisantes pour accueillir des mains volontaires et enthousiastes.
Je dois avouer que c'est aussi pour une raison de sérénité et de zone de confort : j'ai des pistes d'interaction avec d'autres initiatives opensource liées à l'écoute multimédia mais je ne les suis pas vraiment, préférant suivre mon rythme propre. Même si ça peut me faire passer à côté de belles opportunités d'échange, de co-construction.
Parce qu'au final, est-ce que ça ne me ferait quand même pas plaisir que mon bateau serve à d'autres qu'à moi ? Qu'il remplisse son rôle de commun numérique comme je l'espérais depuis longtemps ?
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