Catégorie Amorces

Nov. 17, 2022, 9:49 p.m.

Exploration artificielle

Cao déglutit. Il avait beau savoir que tout ça n'était qu'une illusion, se plonger dans les arcanes du cerveau synthétique d'une machine laissée en autonomie avait de quoi donner le vertige. Il portait la tenue de réalité virtuelle, mais ressentait une forme d'appréhension à enfiler le casque, couper le dernier lien avec le décor concret qui l'entourait. Tout allait si vite. Il y a moins de 10 ans, on faisait peindre aux réseaux profonds des tableaux de maitre, des plagiats poussés mais qui ne réinventaient rien. Désormais, on allait beaucoup plus loin, on ne supervisait plus l'apprentissage pour limiter tout biais. Mais sans cadre ou indicateur, on n'avait plus trop moyen de se rendre compte de ce qui pouvait se passer, si le résultat était celui que l'on imaginait ou non.

L'étudiant savait à peu près dans quoi il s'engageait, il avait signé la décharge pour que le laboratoire ne soit pas poursuivi en cas de traumatisme psychique ou "tout déclenchement de psychose liée ou non à une prédisposition sous-jacente". L'annonce datait d'un mois, il avait eu quelques retours provenant de cobayes volontaires, encourageants mais mitigés. Un seul cas rapporté de déconditionnement... Pour un ratio de 90% de chance que ça se passe bien, il était prêt à prendre le risque.

Il enfila le casque intégral, surprenamment léger pour son volume, rien à voir avec le poids d'un casque de moto. Il était temps d'y aller.


Au bout de quelques secondes, ses yeux commencèrent à s'accoutumer à la luminosité étrange du casque, et à ne plus distinguer les écrans en eux-même mais ce qu'ils projetaient. Cao avait la chance relative, qui s'avérait un handicap dans pas mal de situation, d'avoir un problème de vision l'empêchant de percevoir la profondeur des objets. Et dans le cas d'une projection virtuelle, cela lui fournissait une immersion meilleure que ceux qui la percevaient.

Autour de lui se trouvait le point de départ, une zone bien connue et décrite par ses prédécesseurs : il s'agissait d'une clairière dans ce qui représentait une forêt. De nombreux arbres clones les uns des autres avec quelques détails variant pour donner une illusion de multitude. Des sons de bruissement plutôt réussis. Et trois sentiers partant de cette clairière et s'enfonçant dans l'entrelac de branches. Rien de bien problématique et inquiétant jusque là, juste cette impression de malaise de reconnaitre ces objets tout en sachant qu'une analyse poussée révélait souvent la supercherie.


Cao, bien qu'informé, était frustré par ce décor initial, ce qu'il souhaitait surtout était une vue panoramique sur un paysage s'étalant à perte de vue, et les arbres lui refusaient cette vision. Il était surpris par l'absence de prédateurs dans la zone : plusieurs de ses prédécesseurs avaient été déconnectés très rapidement parce qu'une créature leur avait infligé des dégâts létaux. Pour lui, aucun son suspect ou empreinte au sol hormi celles des explorateurs précédents. Seulement une épaisse couche de feuilles mortes systématiquement colorées en jaune et rouge orangé. Il restait aux aguets, pour ne pas se retrouver expulsé du monde virtuel avant d'avoir étanché sa soif de découverte.


Contrairement à la majorité de ses prédécesseurs, il choisit le chemin le plus étroit et sinueux, pour accomplir son objectif le plus rapidement possible. Il voyait au sol ce qui devait être les traces du sujet de l'expérience 4, qui avait indiqué un accès à la lisière plus rapide même si un peu usant. Cao retrouvait sur le chemin les informations notées dans son rapport, les ronces et l'obscurité relative qui régnait sur le trajet. Puis il parvint à la bordure de ce bois procédural, pour atterir sur un chemin longeant un champ d'un blé en trop bonne santé par rapport à la couleur du ciel qui apparaissait enfin. De lourds cumulo-nimbus absorbaient la lumière d'ambiance, ne la restituant qu'en des ilôts épars au loin. Le champ de vision de l'explorateur s'était élargi, mais des collines parfaitement sinusoidales lui bloquaient la vue à quelques kilomètres.


Il s'arrêta quand même, fermant les yeux dans son casque, restreignant l'afflux d'informations pour savourer le moment. Faisant abstraction des bips d'alerte indiquant aux laborantins que ses paupières étaient fermées, il tenta de réaliser qu'il y était parvenu. Là où l'humain n'avait plus rien exploré, découvert de zone inconnue depuis des siècles si ce n'est quelques rares élus hors de l'atmosphère terrestre ou des motivés spéléologues au fond des dédales de grottes ou plongeurs des abimes désertiques à cause de la pollution océanique. Tous les paysages étaient connus, ressassés à outrance, il n'avait plus rien à se mettre sous la dent en tant que boulimique de paysages à couper le souffle.

Il était donc, à sa manière, un des pionniers de l'exploration artificielle, et cette pensée lui procurait des vagues d'adrénaline nouvelles. Les espaces à découvrir n'allaient pas être infinis, il en était sûr. Ou en tout cas pas indéfiniment intéressants. Au bout d'un moment, aussi complexe que soit le réseau neuronal des machines de son époque, on aurait fait le tour. Il était crucial pour lui d'être parmi les premiers à poser les yeux et fouler ces grands espaces sauvages factices. Et la raison qui l'avait amené à choisir cette expérience là, ce monde là, la même raison qui avait conduit les concepteurs à le proposer, était que l'on ne peut réellement vivre une expérience d'exploration sans contrainte, sans antagoniste pour orienter sa progression. Plus explicitement : sans péril "mortel".


L'environnement de départ avait été silenceux à l'excès, mais maintenant qu'il était éloigné, et qu'il avait arrêté de bouger, il commençait à percevoir des bruits animaux autour de lui. Difficile de savoir si c'était parce que son ouïe s'était aiguisée pour compenser l'absence de vision ou parce que son immobilité les avait rassurés.

Ce qui retenait maintenant Cao d'ouvrir les yeux était le doute que ces créatures soient bien des représentations fidèles d'animaux, ou des entités loufoques sans équivalent issues d'une convolution inattendue ou une évolution pseudo-biologique liée à un contexte local spécifique. Mais il devait savoir très vite si elles lui voulaient du mal, la survie de son exploration en dépendait.


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Ambiance : Woodkid - Conquest Of Spaces

Echo au mythe de la découverte d'espaces inconnus.

Enjeu : Retrouver l'excitation de la découverte.

Précédent : Réparation sera réclamée

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