May 5, 2015, 11:25 a.m.
Quelques 10 mois après la sortie du premier opus, voici un nouvel épisode des barbecues en solo queue, hors-série vie réelle. Et apparemment cette rubrique semble vouée à accueillir mes déclarations amoureuses pour les transports en commun. La Netiquette contient certainement un paragraphe à propos de ne pas se plaindre continuellement et pendant trois plombes sur les réseaux sociaux pour éviter de faire chier le monde, mais qu'importe, l'occasion est trop belle. Alors entrons dans le vif du sujet.
C'était un matin grisâtre, jour de vacance scolaire, mais pas pour moi. Encéphalorectite avancée, snooze répété jusqu'à l'heure où je savais que j'allais rater le premier bus. Pas grave j'étais encore à l'heure en prenant le suivant, même si ça m'obligeait à faire dix minutes à pied jusqu'à l'arrêt. Parce que si les transports en commun sont une espèce rare habituellement dans ce coin de France, l'espèce s'approche dangereusement de l'extinction en période de "vacances".
J'arrivai à l'arrêt avec les six minutes d'avance réglementaire, car les bus du coin ont la spécificité amusante d'avoir régulièrement jusqu'à cinq minutes d'avance, piège classique pour les newbies naïfs qui croiraient qu'être à l'heure à l'arrêt serait le garant de leur accès au transport... Une telle foi candide envers l'espèce humaine est à la fois magnifique et terriblement triste. La désillusion est cruelle qui les laisse sur le trottoir de l'existence, désemparés. Seulement cette fois là, pas de bus en vue pendant 10 minutes. Peut-être étais-je encore arrivé trop tard ? Deux minutes plus tard, ma question trouva saréponse sous la forme d'un bus (rose) n°1 croulant sous le poids de la culpabilité du retard (ou alors de la surcharge dûe au nombre de passagers, qui sait), portant sur le front cette inscription fortement désappointante "Ce bus ne prend pas de passager". Une certaine lassitude m'étreignit de voir ainsi mon espoir me passer sous le nez, ne laissant derrière lui qu'une trace légère et amère de gaz d'échappement. Qu'importe, je prendrai le suivant, dussé-je arriver en retard.
C'est à ce moment que tout bascula. Au moment où je décidai de prendre le n°1 suivant quoi qu'il advienne. Parce que quelques minutes plus tard, un engin similaire au numéro 1 débarqua dans la rue, quasi-vide. Je le pris sans attendre ni scrupule, sûr de la légitimité de ma démarche. Le bus partit donc, avec moi cette fois, vers des lendemains qui chantent. Enfin c'est ce que je croyais. Le paysage défilait, connu, jusqu'au moment où le bus commença à desservir des arrêts oubliés au fond de ma mémoire sans que je ne puisse les recontextualiser. Puis le chauffeur signala d'un ton léger "TERMINUS". Hum. Je n'étais pas sensé descendre au terminus, quelque chose clochait dans cette histoire. Les autres passagers s'échangèrent des regards interloqués, me rassurant partiellement sur le fait que je n'étais pas seul à trouver cette situation incongrue. Tout le monde descendit, bon gré, mal gré, perdus. En regardant autour de moi les bâtiments et les herbes folles, je me souvins. J'avais commis une terrible méprise. J'avais pris le 1 maléfique, le 1 des enfers. Je ne parle pas de l'anté-1, celui qui va dans la direction opposée. Nan je parle du 1 qui fait croire qu'il va où tu crois aller mais il ment. Il te trompe et te laisse sans prévenir ni ressource au milieu du néant. Les quatre autres individus abandonnés par le bus prirent à leur tour conscience de la situation.
La survie s'organisa. Ceux qui peu de temps avant avait été simplement des entités inconnues durent par la force des chose échanger pour espérer survivre. Chacun tripotait nerveusement son téléphone, dans l'espoir que cet outil pourrait débloquer la situation et nous ramener sur le chemin de la rédemption. Comme si ce petit bout de plastique et circuits imprimés pouvait faire apparaitre un bus. Sur l'arrêt de bus étaient placardées les horaires pour les lignes desservies dans ce trou oublié de l'histoire, les feuilles partiellement déchirées. Les horaires de semaine étaient encore visibles et annonçaient une dizaine de minutes avant un bus pertinent. On attendit. Puis je me rappelai dans un éclair de lucidité que nous étions en période de vacance, détaillés précisément à l'endroit arraché par une main furieuse. L'application mobile faisait preuve de mauvaise foi et persistait à proposer les bus partant d'un arrêt autre que celui entré, il fallait trouver autre chose.
Un bus passa. Pas le bon numéro. Mais sachant que nous ne pourrions tenir longtemps avant de sombrer dans le meurtre et le cannibalisme, isolés comme nous l'étions, je fis signe à la conductrice et lui décrivis brièvement la situation. Elle répondit qu'elle pouvait nous aider partiellement, en nous remettant sur la bonne route. Nous étions sauvés pour un temps. Nous montâmes avec à nouveau un soupçon d'espoir d'arriver un jour à bon port. Nous voguâmes sur des routes inconnues, tellement étroites que le bus ne semblait y passer que grâce à une force surnaturelle. Probablement une succursale low cost du Magicobus.
Arrivés à la croisée des chemins, elle nous laissa. Cette fois, pas question de se faire avoir par un faux bus. Après analyse des prochains, il apparut qu'un numéro 1 allait passer bientôt. Seulement notre regard aguerri décela rapidement que c'était à nouveau un 1 démoniaque. Nous le regardâmes passer, un frisson d'effroi nous traversant le dos. Pas deux fois. Voyant que le vrai 1 tant attendu ne serait pas là avant une demie heure, les avis divergèrent. Certains, traumatisés par les évènements récents, décidèrent de l'attendre quitte à passer la journée plantés sous cet arrêt de bus morose. Pour ma part, j'acceptai un compromis de distance qui me permettrait de prendre un bus et n'avoir que la moitié du chemin à finir à pied.
C'est ainsi que je laissai notre communauté d'infortune à son sort pour aller vers ma destinée. Je réussis à prendre le bon bus, descendre au bon arrêt et à finir par 20 minutes de marche jusqu'au lieu de travail, sans encombre. Je remerciai la compagnie des transports en commun de m'avoir permis de vivre cette expérience humaine sans pareil, tellement riche et intense. Et dire que les gens en voiture n'ont pas cette chance...
Ce qu'il advint des autres ? Nul ne le sut jamais vraiment. Des rumeurs évoquent une compagnie du 1, formée de 4 barbus refusant de bouger de leur arrêt de bus ad vitam æternam, prétextant que les 1 qui passent ne sont que des mensonges, des pièges destinés à égarer leur âme. Ils attendraient Sa venue. La venue du vrai Un.
Précédent : Épisode 3 : Mute dem all |