July 18, 2016, 10:39 a.m.

Épisode 3 : Mute dem all

Antoine de Saint Exupery avait joliment décrit le ballet des allumeurs de réverbère de la planète Terre au coucher du soleil. J'ai la chance d'assister chaque soir à un ballet d'une beauté différente mais sans cesse surprenante et renouvelée.

Jusqu'à minuit les douces sonorités sortant du poste télévisuel du salon atteignent mes tympans, principalement au moment où le rituel du Coucher d'un colocataire commence, nécessitant de garder le poste allumé alors même qu'il n'est plus vraiment devant. Un volume élevé est recommandé. Puis le poste est éteint, et après un concerto en notifications de téléphone mineur, le silence prend possession de l'appartement.

Une heure pendant laquelle mon esprit surnage alors qu'il tente de sombrer.

Au moment où l'esprit céderait enfin par facilité et faiblesse d'esprit aux cotons noirs et duveteux du sommeil, entrent en scène les instruments à vent : le concerto des moustiques, en une succession aléatoire de crescendo et decrescendo entretenant l'atmosphère d'une musique vivifiante.

Puis, deux heures plus tard, alors que les ailes se calment, intervient le soliste. Le timbre soprano d'un nourrisson emplit l'espace sonore de toute la résidence. Une mélopée implacable modelée par des milliers d'années de sélection naturelle pour être intrinsèquement insupportable pour les congénères de l'individu. La génitrice du soprano tente de s'approprier la ligne mélodique, mais ne possède pas le coffre suffisant pour contrer une telle puissance.

Au moment où 5 heure 30 sonnerait si un clocher était à proximité, le solo s'interrompt. C'est alors le retour du colocataire qui avait initié le ballet, dont le réveil retentit. Puis à 6 heures le réveil d'un autre colocataire délivre plusieurs fois un air rythmé adapté pour se lever du bon pied.

Enfin, alors que le soleil a quitté l'horizon depuis longtemps, retentit l'interphone pour réveiller le mélomane inattentif qui aurait tenté de piquer du nez. Quelqu'un a oublié ses clés.