July 11, 2016, 10:49 a.m.
Conférence de Stanislaus Grumman dans le cadre du consortium "À la croisée des conceptions". Retranscription effectuée a posteriori.
L'objectif de cette courte analyse est de faire un parallèle entre deux concepts sociologiques forts, en rapprochant les daemons de ce monde et les formes de totemisation animale existant dans certaines cultures telles que celle des autochtones des Nouvelles Indes, pour en dégager les similarités mais surtout les nuances.
Généralement avant de se lancer dans une analyse comparative on définit le plus précisément les concepts. Mais là j'ai la flemme. Alors passons directement à la comparaison.
La différence majeure résidant entre daemon et animal totem est que le daemon est intrinsèquement lié à un humain. C'est la combinaison de ces deux facettes humain/daemon qui définit l'individu. Alors que l'animal totem est un concept lié cette psyché dans un univers où les deux facettes résident dans la même enveloppe corporelle...
Oui ? Non je ne veux pas dire par là que la seule différence réside dans l'univers dont on parle. J'y viens.
Une fois cette distinction posée, il faut considérer le côté animal. (Rire) excusez moi je n'ai pas eu le temps de préparer cette présentation à l'avance, je l'ai fait pour pallier la défaillance du Professeur Mickaël mais je ne possède ni sa connaissance encyclopédique des univers ni son talent oratoire. Alors veuillez ne pas tenir rigueur de l'aspect décousu de mon exposé.
Reprenons. Les animaux. Ce dénominateur commun est important à décrypter. L'animal est une entité complexe mais caractérisable. Les variations comportementales des animaux sont assimilables à des traits de caractère humains...
Non, cela ne veut pas dire que la personnalité d'un individu reste figée, je suis heureux de voir votre implication au niveau des question mais laissez moi poursuivre mon raisonnement jusqu'au bout.
C'est justement à ce niveau que se fait une distinction importante entre l'animal totem des univers mono entitaires et ceux aux individualités scindées. Il est plus facile de parler des daemons puisqu'ils sont concrètement définis alors que l'animal totem est une connexion abstraite avec l'animal. Il a été démontré que l'espèce du daemon est variable jusqu'à la puberté, au moment où la personnalité de l'individu se stabilise. Les théories sous-jacentes récentes faisant intervenir la Poussière ne seront pas évoquées dans mon analyse même si elles fourniraient un éclairage intéressant sur les conclusions de l'étude. Il faut seulement retenir que le daemon ne se fixe qu'à la fin de la puberté alors que l'animal totem semble indépendant de la maturité de l'individu.
Ma conférence était sensé se terminer sur ce constat. Mais arrêter la comparaison en disant que l'un est concret et l'autre abstrait me semblait une imposture scientifique et une forme de paresse intellectuelle.
Nous en étions à dire que l'un évolue et l'autre est une analyse sans considération de l'aspect temporel.
Je voudrais maintenant évoquer ici la faculté des sorcières de voir les daemons des entités monolithiques. Cela démontre l'existence de ces daemons même s'ils ne sont pas visibles (en acceptant le postulat que les sorcières sont une source fiable.) à partir de ce moment une question émerge : chez un humain monolithique, l'animal totem et le daemon sont-ils fondamentalement différents ? Une réponse a été donnée dans la partie précédente mais de façon beaucoup trop théorique. Ici nous allons devoir dépasser la différence concret / abstrait pour déterminer la nuance d'information apportée par chacune de ces projections.
Si les concepts étaient liés aux mêmes facteurs psychologiques et comportementaux, les deux projections seraient identiques. Cela arrive, mais n'est pas un cas général, les contre-exemples sont nombreux. Parler de mon expérience personnelle ne serait pas très rigoureux alors je vais évoquer le cas d'un autre Passeur de fenêtres. Qui vivait dans une tribu nomade du Nord. Il avait passé des rites initiatiques et était lié au Totem de l'Uraète, de par son caractère vigilant et offensif. Cependant une fois passé dans l'univers scindé, le phénomène de scission progressive de l'âme (étudié dans une conférence antérieure au mien) a commencé à et après quelques mois un daemon a pu être observé. C'était bel et bien un oiseau. Proche du profil de l'aigle mais fondamentale différent : c'était un oiseau des falaises. Qu'est-ce que cela signifie ? Il est aventureux et approximatif d'essayer de cerner la personnalité d'un individu juste en se basant sur l'espère de son daemon mais l'exercice est important pour la problématique actuelle. Oiseau des falaises et Aigle : notez que les deux espèces sont des oiseaux possédant une aire d'habitat contrairement aux espèces migratoires ou nomades.
Mais jusque là on n'a évoqué que les points communs. Cela ne permet pas de servir mon argumentaire. Alors quelles sont les vraies différences montrées par ce cas ?
Pour saisir la nuance, il faut cesser d'essayer de rapporter l'animal totem au daemon comme si l'un pouvait remplacer l'autre.
L'animal totem est en soi une conception différente de l'individu, plus profonde et immuable, figée même aux premier abord, mais il ne faudrait pas s'arrêter à de tels jugement superficiels sous peine de rater la richesse de chacune des approches. Ce qui le distingue est de s'attacher à une essence fondamentale de l'entité qui n'est pas définie par le temps. Considérer l'animal totem d'un individu revient à considérer son mécanisme interne hors du temps. Les partisans de l'animal totem diront que l'essence ne change pas, qu'importe les événements qui peuvent impacter et façonner une personnalité.
Il a été avancé que si le daemon évolue à mesure que son humain acquière de la maturité, jusqu'à la stabilisation, c'est que ses traits fondamentaux changent, mutent, se définissent. Les plus fervents croyants en la définition daemonistique de l'individu considèrent de façon extrême que rien d'autre n'entre en compte dans la définition d'un humain que ce que son daemon en traduit, en trahit. Que l'individu est une simple accumulation des événements et choix qu'il a traversé.
Mais en poussant le raisonnement, il faudrait considérer qu'à sa naissance, voire aux étapes du développement amenant l'individu à prendre conscience de sa propre existence, le daemon ne posséderait pas de forme particulière, puisqu'aucun élément n'aurait modelé sa personnalité.
Le tabou qui entoure la naissance des Daemons ne permet pas de trancher la question factuellement en ces lieux. Si les légendes et la sagesse populaire affirment que la première forme du Daemon dicterait le destin de son humain, l'accumulation des contre-exemples amène à considérer cette assertion comme imparfaite sinon erronée. Cela ne fournit pas pour autant une réponse quant à la raison réelle de forme initiale du Daemon, ni même à prouver qu'elle existe. Puisque je le rappelle l'apparition du Daemon n'est pas à discuter dans cette conférence à la croisée des Conceptions, quand bien même elle serait riche en enseignements.
L'animal totem est visiblement un catalyseur des réflexions, une transcendantalisation du débat qui oppose deux conceptions de l'être et du monde distinctes et opposées. Valider sa définition absolument reviendrait à donner raison à un camp, or l'objectif de l'atelier de réflexion qui m'a été demandé n'est pas d'apporter des réponses, mais des clés de lecture pour mieux appréhender la façon dont nous considérons les daemons des autres et peut-être même à mieux nous comprendre dans notre relation avec cet animal qui nous est lié si fortement, cette partie de nous qui ne saurait nous être arrachée sans séquelles irréversibles. Et pour les humains monolithique, il faut espérer que cette conférence leur permettra de mieux nous comprendre, nous cerner.
Pour en revenir au voyageur de fenêtres, sa totémisation avait révélé un Aigle. Quelles sont les caractéristiques d'un Aigle ? Et surtout dans le contexte actuel, qu'est-ce qui distingue principalement un aigle d'un oiseau des falaises ? Si la première question est difficile à répondre parce que trop vague, la deuxième peut être résolue par une simple analyse comparative des caractéristiques comportementales de chacun des animaux. Même si cet aspect a déjà été évoqué, il est de mon devoir de rappeler ici que la vision de l'animal en tant qu'espèce ne saurait être rigoureuse et exhaustive. Les variations entre individus au sein d'une même espèces induisent un flou qui peut être amoindri mais jamais vraiment dissipé.
L'Uraète est un animal carnivore, voire charognard. Sa vision perçante et au delà du champ du visible en font un observateur et un navigateur aérien hors pair capable de rester des heures durant plus haut que l'œil humain ne porte pour le distinguer, et ce sans grand effort. Dans cette description de vie, les points discriminants par rapport à l'oiseau des falaises sont cette capacité sensorielle hypertrophiée et de mouvement scrutateur patient. Un observateur et un être dynamique bien que pas forcément survolté, loin de l'hyperactivité. Voilà ce qui pourrait être déduit très superficiellement de l'information sur l'Uraète en tant qu'animal totem. Des traits de caractère qui semblent bien s'accorder avec ce qui transparaît de l'individu placide et aiguisé que j'ai rencontré.
C'est en regardant l'individu comparativement à ces allégories concrète et abstraite que l'on peut prendre la mesure de la distinction de sens résidant dans chacune d'entre elles. L'animal totem est sensé être possiblement obtenu très tôt, dès que l'individu naît, alors que le daemon accompagne l'humain dans son évolution. C'est notamment cela qui rend l'attachement au daemon plus fort. Les daemons cheminent avec cette partie de l'être qui évolue avec le temps. Au fil des choix qui construisent l'individu. Certains affirment être capables de deviner la forme définitive que prendra un daemon, mais à l'éclairage des dernières réflexions ce talent semble improbable.
Il serait intéressant de poursuivre sur la raison profonde pour laquelle les daemons se stabilisent à l'âge adulte, au moment où son humain atteint la puberté. Une piste de réflexion que je voulais apporter ici est qu'il s'agit d'un moment clé du développement de l'individu qui devient responsable de ses décisions et qui perçoit le monde tel que son éducation et son vécu antérieur lui font voir. Il ne faudrait pas croire que cela signifie que l'humain ne va plus évoluer au fil du temps, il est probable que des événements majeurs lui feront changer sa perception de l'univers qui l'entoure, mais cela sera fait sur le socle culturel et d'existence qu'il a vécu pendant ses premières années.
Alors que les organisateurs gesticulent discrètement dans le fond de la salle afin de me faire comprendre de conclure mon exposé, je pense pouvoir affirmer que j'ai fait le tour de la problématique que je souhaitais aborder avec vous, honorables confrères érudits, chamans, membres du Magisterium sceptiques et pointilleux. Je clôturerai mon propos sur cette ultime comparaison entre l'animal totem et le daemon : Le totem représenterait l'essence de l'individu alors que la forme du daemon stabilisée est la composante des événements et choix qui ont forgé la personnalité de l'individu dans les cruciales et déterminantes premières années de son existence. Ce sont deux facettes complémentaires et distinctes qui définissent l'individu et permettent de le considérer dans son ensemble. Il n'y a pas de jugement à émettre sur l'une ou l'autre de ces formes, ni de conclusions hâtives à tirer de chacune des formes.
C'est ainsi que je clos ma démarche de réflexion en votre compagnie : ne pensez pas connaître un individu simplement à l'allure de son Daemon ou à l'animal totem auquel il appartient. Un être humain et son daemon ne peuvent être résumés aux caractéristiques d'une espèce, aussi diverses soient les formes animales observées dans la nature.