Aug. 27, 2018, 1:07 p.m.
PROLOGUE
Moi, Zidp, partisan de la flèche de cristal, soldat-lige du dieu-roi lion, en tant qu'invocateur vénérable, j'ai vu l'évolution de la faille de l'invocateur durant plus de six années.
Au fil des innombrables joutes qui ont émaillé ces années, et les changements de règle du jeu, j'ai été confronté à des situations mettant mes nerfs à rude épreuve. Principale cause de ces tourments : devoir pactiser avec des invocateurs peu scrupuleux, ou passablement antipathiques. Les règles du jeu sont très claires, même si on les oublie parfois : travailler de concert avec quatre autres jouteurs pour donner un coup fatal à une bâtisse située à l'autre bout d'un grand échiquier. Nécessité est alors de développer des stratégies ingénieuses pour y parvenir.
Je n'ai jamais douté de mes capacités à diriger les héros que j'invoque, même si parfois j'ai du mal à leur faire exécuter parfaitement les ordres que je leur lance. Ou que ces ordres bien exécutés mènent à notre perte commune, chose assez fréquente. Il est facile d'accuser ses soldats d'une défaite que l'on doit en fait à un manque de discernement fatal. L'humilité est une denrée bien rares chez les décideurs...
L'expérience acquise est l'accumulation de toutes ces victoires, à l'arrachée ou écrasantes, et de ces défaites douloureuses ou prêtant à sourire tellement le génie tactique ou virtuosité technique de l'ennemi nous surpasse. Et pour qui a expérimenté les affrontements compétitifs, visant à donner le meilleur pour progresser, au bout d'un moment les petits tracas vous atteignent moins.
En centre névralgique de la bataille, épicentre de ces cahots : la salle de commandement où les invocateurs d'une équipe se retrouvent pour, théoriquement, discuter du déroulement de la bataille, donner les informations cruciales sur les ennemis et prendre les décisions qui permettront de prendre un avantage décisif. Cette salle dispose de moyens de communication sophistiqués issus de plusieurs années d'évolution et d'amélioration, afin que les phases de préparation puis d'affrontement soient plus efficaces. Au centre, une grande table circulaire vitrée sous laquelle figure une maquette de la faille.
Mais tous ces beaux concepts, cette structure ne garantit pas la qualité des échanges qui s'y passent. Souvent il suffit de voir l'entrée des invocateurs dans la salle de commandement pour savoir à qui on a à faire : celui qui à peine arrivé se vautre dans un siège, met ses chaussures pleines de gadoue sur la table centrale et renifle d'un air méprisant en voyant les autres s'installer. L'égocentrique suffisant n'imaginant pas un seul instant que les autres invocateurs puissent avoir la moindre valeur, sous prétexte qu'ils n'ont pas des masses de décorations sur la poitrine. Celle qui débarque d'un coup en saluant fort tout le monde et en inondant l'atmosphère d'un parfum de positivisme incongru. Celui qui toque timidement, balbutie quelques excuses et implore notre pardon par avance pour son incompétence à venir.
La salle est remise en état avant chaque match, mais cela n'empêche pas son état de délabrement lorsque les échanges s'enveniment : matériel abîmé, marques de couteau sur la table, bouts de papier déchirés et reliefs alimentaires refroidis dégoulinant sur le lino.
Au fur et à mesure, à force de me terrer dans les couloirs sombres et moites des affrontements où des loups solitaires ou binômes rodés combattent sans cesse pour prouver leur valeur, la lassitude a commencé à m'envahir. J'ai donc décide de me diriger dans une autre aile de l'immense complexe, plus récente et à l'odeur de peinture encore perceptible. J'avais déjà visité ces locaux en compagnie d'alliés, puisque cet endroit est dédié aux équipes nombreuses se concentrant sur le travail d'équipe plus que la performance individuelle. En tout cas c'est ce qui est écrit à l'entrée. Je me suis dirigé vers l'endroit en espérant trouver une atmosphère différente de celle des salles viciées de mon couloir habituel. Beaucoup se retournaient sur mon passage, ne comprenant pas ce qu'un individu seul cherchait par ici, dans le repère des gangs et des sociétés aux noms cabalistiques. J'ignorai leurs chuchotements et me dirigeai vers une salle de commandement indiquée sur le panneau général comme disponible.
PREMIER ACTE
Lorsque j'arrivai dans la salle, les autres étaient déjà en place. Je grimaçai, ne pouvant procéder à mon activité de profilage initial. Je me renseignai de ce qui avait été décidé avant mon arrivée, sachant à quel point le choix des héros à invoquer sur le champ de bataille est une étape décisive.
Au fond de la salle, accoudé nonchalamment à la table, siégeait une silhouette encapuchonnée. Plus proche, un solide gaillard avec une allure de baroudeur du champ de bataille qui tripotait machinalement son bracelet en causant avec un invocateur visiblement néophyte, un peu perdu, scrutant la salle comme s'il n'était pas bien au courant de son fonctionnement. Et sur la gauche, juste à côté de moi, un individu crispé sur sa chaise, le visage fermé.
J'annonçai que j'allais prendre l'héroïne Annie, réputée pour sa pyromanie exploitable. Silence dans l'assemblée. la voix désincarnée du haut parleur au dessus de la porte annonça le début du processus de sélection des héros. Bannissement préliminaire, afin d'éviter d'envoyer nos héros invoqués au casse-pipe assuré. Chacun d'entre nous prit une carte de la pile des héros et l'introduisit dans la fente.
Une fois la Morgana bannie par mes soins, j'analysai le tableau récapitulatif des mis au ban, et découvris non sans surprise qu'un des alliés avait banni Annie. Je jetai un regard suspicieux autour de la table, en demandant pourquoi on m'avait court-circuité de la sorte. Le jeune me regarda d'un air effronté en répondant que c'est que c'est moi qui avais commencé en bannissant SA Morgana. Incrédule, je me refis la scène mentalement et répondit qu'il ne l'avait pas déclaré. "Tu m'as pas laissé le temps" fut sa réponse. Le baroudeur ricana dans son coin. J'informai diligemment l'effronté qu'il était techniquement possible d'indiquer son choix avant les bannissement, il répondit que j'aurais du demander.
À ce moment là, je pris le parti de laisser tomber, une telle volonté de saboter sa propre équipe ne pouvant être combattue par l'énervement. Je choisis un autre héros et attendis la suite avec impatience. J'avais demandé du dépaysement et une sortie de la routine, j'allais être servi.
DEUXIÈME ACTE
Au moment où le signal sonore annonçant le début de l'affrontement retentit, je me concentrai, bien décidé à rester imperturbable quoi qu'il arrive. Il suffit que je regarde le bureau de l'individu du fond de la salle pour que cette décision vacille : la vision du vénérable maitre Yi invoqué avec pour attirail un sort Fantôme et une clé de voûte Météore, face à un Darius solidement préparé avec sa Réplique, me fit tressaillir. Une goutte de sueur perla à mon front mais je gardai pour moi mes réflexions et inquiétudes quant à sa survie et élançai ma Ahri habituelle, compagne fidèle dans les parties dangereuses ou mal engagées, au cœur de l'échiquier.
Je focalisai mon attention sur le duel Ahri / Veigar de la ligne médiane, voulant prendre un avantage rapide. Plus rapide fut hélas la faculté de mes alliés à envoyer leurs héros à l'abattoir. C'est ainsi qu'avant même d'avoir pu faire apprendre à mon renard sa compétence ultime, la joute était déjà un charnier. Comme anticipé, l'encapuchonné persistait à envoyer son guerrier à la mort sans remettre en question sa démarche. Mais étrangement c'était loin d'être aussi catastrophique que cela aurait pu l'être lorsqu'un Darius a autant le champ libre. Lui aussi semblait incertain et ne maîtrisant pas les arcanes de l'exploitation d'avantage.
Le vrai problème fut l'impact de l'effronté, ayant invoqué le soutien de notre formation : un Fiddlestick. Ce héros a un potentiel d'angoisse et de surprise majeur, théoriquement pour les ennemis, ici pour son équipe. En l’occurrence il s'agissait tout au plus d'un potentiel de fagot servant de démarrage à l'incendie de notre base. Je dois reconnaître que l'orientation donnée au personnage dans cette partie servait bien cette cause : un sort Téléportation et des bottes de Mobilité pour fournir du carburant plus régulièrement à la Sivir ennemie. Et une clé de voûte Appuyez l'Attaque pour renforcer le potentiel du coup de la FFF (Faux Fatale Flashée, technique que j'avais moi-même éprouvée par le passé)
Je jetai un regard sans grand espoir au tableau des statistiques pour me rendre compte que son rôle devait lui être fondamentalement obscur : un score solide de 0 en vision. En revanche une participation assidue à l'animation de la faille qui permit à la Sivir d'être équipée d"une Lame d'Infinie, un Danseur Fantôme ainsi qu'un Pillard d'Essence avant les 20 minutes d'affrontement.
Il fut assez curieux de remarquer que l'invocateur du Nocturne adverse considérait, à raison visiblement, qu'on n'avait pas besoin de lui : il resta à une contribution de 0 jusqu'à la quinzième minute alors que son équipe avait engrangé 27 éliminations. Même pas une petite traînée obscure pour créer l'illusion. L'invocateur du loup et moi envoyions nos héros en pompier pour tenter de calmer les ardeurs ennemies sur toutes les lignes, mais nos efforts étaient vain face à un tel décalage financier. Et avant que ne retentisse la 19e minute, la partie s'acheva par un renvoi de nos héros à la fontaine et une destruction sauvage de Nexus.
Je restai interdit, ne parvenant pas à assimiler tout ce à quoi je venais d'assister. À quel point il aurait été impossible de remporter une telle partie. Puis un fou rire m'assaillit lorsque je relevai les yeux vers mes compagnons de bataille. Je les remerciai, les yeux encore embués des larmes de la déesse (d'ailleurs achetée à notre Jhin quelques minutes auparavant), et quittai la pièce sans amertume.
ÉPILOGUE
Plus tard, je me renseignai plus en détail sur l'identité de ces partenaires de fortune et me rendis compte que les trois compères dirigeant la jungle, le haut et le soutien étaient de mèche. J'avais été habitué au sabotage par binôme dans l'autre couloir, mais n'avais pas du tout anticipé un dynamitage de cette ampleur. Il m'apparut flagrant que ce couloir renfermait des trésors d'ingéniosité collective, divine parfois, démoniaque souvent, que jamais je ne pourrais voir émerger dans les ligues individuelles.
je notai avec une légère déception nimbée de soulagement que les invocateurs soutien-petit-bois et haut-yi-comète avaient disparu des radars depuis cette joute. Ce fut donc un honneur, chers invocateurs précocement retraités, de partager votre dernière bataille.
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