Feb. 9, 2018, 1:28 p.m.
Même le meilleur des stratèges, celui qui a remporté tous ses affrontements finira par perdre contre la mort, inéluctablement. J’ai senti qu’il était l’heure pour moi d’affronter une dernière fois des ennemis tangibles avant de me tourner vers l’ultime adversaire.
Une fois devant le négociant, j’ai regardé ce que le destin m’avait donné comme troupes. Un rapide coup d’œil m’a refroidi quant à leur vigueur et Béatrice a émis un croassement dubitatif : La rebelle à l’épée cassée, pas un très bon signe que d’avoir une arme aussi mal entretenue, un humanoïde tordu avec une faux plus grande que lui, pas très pratique. Mais ceux-là étaient toujours plus crédible que les deux autres… Des yordles, et pas les plus futés que j’ai pu croiser : la petite au canon et le scout à la sarbacane. Une sarbacane sur un champ de bataille…
Alors certes en face, ils avaient le guerrier au lampadaire, pouvant prêter à rire si on ne le connaît pas. Mais leurs armes avaient de l’allure, la hache viking, les doubles mousquets de la fille au tricorne accompagnés d’une silhouette verdâtre avec un grapin. Toutes les chances d’attraper le tétanos avec une créature de ce genre dans les environs…
Le Kayn, visiblement gêné, avoua à voix à peine audible qu’il n’a pas de quoi châtier les monstruosités qui rodent dans les bois. Pris d’un horrible doute je l’examine attentivement et remarque qu’il n’a pas effectivement le moindre attirail de chasseur, sur sa ceinture un parchemin de soin usuellement utilisé à d’autres postes… C’était une erreur impardonnable. Pas seulement pour le faucheur, mais pour moi… Jamais un joueur d’échec n’aurait commencé à jouer sans vérifier qu’il a bien toutes ses pièces.
Et ce n’est pas faute d’avoir entendu parler de cas similaires… En moins d’une dizaine de jours, les informateurs m’avaient informé de deux histoires pitoyables de gardes forestiers embrochés par des corbeaux ou incinérés par des dragons, menant fatalement équipe à la débâcle, pour la même raison… Ma négligence n’en était que plus inacceptable. Mais s’il était écrit que ma dernière bataille sur cette faille devait être sous le signe de l’adversité, qu’il en soit ainsi. Il était trop tard pour revenir en arrière.
Surveillant les allées et venues dans la jungle, j’assistai à la procession indigne des ennemis venus détrousser notre garde champêtre, ayant été informés de sa méprise. Ils s’engouffrèrent dans un couloir pour le larcin, je les pris à revers, coupant la retraite de l’un d’entre eux et parvenant à punir son outrecuidance par la peine capitale.
Occultant la situation globale qui s’annonçait fâcheuse même après cette correction, je me concentrai sur mon duel. Mon adversaire du jour était une sorte de bourgeois écarlate cherchant à se donner un style extravagant. Un vampire de la pire espèce, mais qu’importe, j’en avais tué des plus coriaces, de sang froid.
J’ai envoyé Béatrice le surveiller, et elle l’a si bien harcelé qu’il a fini titubant, tentant de s’enfuir par escamotage, en vain : je l’ai fait retourner dans son cercueil sans coup de semonce. Un problème de négocié. Pour un moment tout du moins, je savais à quel point il est difficile, voire vain, de vouloir enterrer un vampire.
En prenant du recul sur le reste de l’armée cependant, je me suis rappelé que c’était une bien maigre prise. Les yordles responsables du Sud se faisaient martyriser à répétition par les troupes de la chasseuse de pirates et son ombre à la lanterne, sans pouvoir bénéficier d’une aide extérieure, ce qui les rendit rapidement acerbes, déversant leur fiel l’un envers l’autre et vers l’incapable qui leur tenait lieu de rôdeur. Une ambiance délétaire pour la suite des opérations.
De mon côté je faisais de mon mieux pour assurer la survie de l’étourdi et de la fille à l’épée cassée, avec un certain succès, mais à chaque fois pondéré par la nécrologie au Sud, suivie du recul rapide et incoercible de notre position dans cette région.
Puis, les ennemis forts de cet avantage décidèrent d’appuyer sur mon secteur, voyant des avant-postes à détruire. J’ai réussi à feinter le grapineur, ce qui n’était pas une mince affaire pour quelqu’un avec une canne. Une escarmouche où nous étions en infériorité numérique m’envoie au sol, et la canonnière sentant le goût du sang saute dans le tas dans une attaque suicide en emportant un adversaire agonisant avec elle au lieu de privilégier la défense des bâtiments. J’ai compris à ce moment là que je ne pourrais pas compter sur elle à part si j’avais besoin de quelqu’un pour se sacrifier pour l’équipe. Toujours bon à savoir, mais à l’usage relativement limité, surtout quand cet altruisme n’est pas secondé par le moindre grain de bon sens ou de stratégie.
En revanche le ranger à la faux commençait à sortir la tête de l’eau, mon accaparement de l’attention de toute la partie et mon aptitude à tenir en respect plusieurs ennemis de concert lui avaient permis de s’endurcir et de devenir réellement menaçant. Quant à Riven, j’ai du reconnaître que malgré son épée ébréchée elle disposait de facultés martiales tout à fait honorables, et nous avons pu profiter d’un nouveau suicide du commando yordle de l’autre côté de la carte pour détruire leurs avant-postes au Nord.
Les ennemis en panique commencèrent à se regrouper sur l’axe médian pour tenter une charge, c’était sans compter Béatrice qui les retint, et lorsqu’ils arrivèrent à nos portes, nous étions prêts. Nous les prîmes en étau, j’en immobilisai trois alors que Kayn leur fondait dessus, Riven tranchant la foule de son épée surdimensionnée. Après l’affrontement ne restaient plus que les cadavres de trois des ennemis, ainsi que le sang d’un quatrième. Nous saisîmes l’opportunité et courûmes détruire leur point vital (ou en tout cas je laissai les autre courir devant tout en tentant de les suivre à grands coup de canne).
Le cœur d’énergie céda sous les coups, et je fus enfin libéré de mes obligations, vainqueur. En dépit de tout ce que le destin avait tenté de mettre sur mon chemin pour que je trébuche.
Ne restait plus qu’une dernière chose à faire. Un dernier ennemi, à la faux plus noir que Rhaast, se dirigeait vers moi, pensant que j’allais rendre les armes. C’était bien mal me connaître. Béatrice croassa avec dédain en le voyant s’approcher, et lorsque la forme sépulcrale fut à hauteur, je lui expliquai que je l’attendais, et que j’avais pour lui une meilleure idée que la maigre moisson de mon âme et celle d’un corbeau. Une fois que j’eus exposé mes arguments, il hocha la tête et répondit qu’il aurait du mal à refuser une telle offre. La seule condition était que je renonce à mon passé et à mes pouvoirs. Je lui esquissai le premier sourire, et le dernier, depuis de longues années, et conclus le pacte.
J. S.
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